ANIMATION THERAPEUTIQUE THEATRE
Proposer une activité artistique telle que le théâtre en service de psychiatrie, en utilisant les techniques du jeu de l’acteur, la lecture ou encore la détente corporelle, permet au sujet de s’inventer dans la mesure où il sait que le personnage qu’il joue n’est pas lui.
Journal des psychologues :
Pouvez-vous présenter votre travail ?
Il consiste en l’animation de groupes de théâtre en psychiatrie, en centres artistiques pour adultes et dans des écoles. Je travaille comme formatrice en art-thérapie à l’hôpital Sainte-Anne. Je mène également un travail de recherche sur la relation entre la psychanalyse et le théâtre.
Quelle est votre formation ? Quel a été votre itinéraire ?
J’ai fait des études d’animation socioculturelle et suivi des cours d’art dramatique pendant quatre ans à la Schola Cantorum avec Luce Bertommé et fait des stages avec Augusto Boal, homme de théâtre brésilien ayant fondé le Théâtre de L’opprimé. J’ai donc été formée à des techniques théâtrales à la fois académiques et ludiques. Après une année d’étude en psychomotricité. J’ai débuté en 1984 un travail dans un hôpital de jour à Sainte-Anne, en collaboration avec un comédien Gérard Bayle. J’ai par ailleurs une formation en danse et depuis 1986, j’assiste à des séminaires de psychanalyse.
Pouvez-vous nous parler plus particulièrement de votre travail en psychiatrie ?
J’ai d’abord travaillé à Sainte-Anne en hôpital de jour accueillant pour la journée des patients psychotiques. Cet hôpital de jour, suivant la politique de sectorisation, a fusionné avec un autre et a donné place à un CATTP (centre d’accueil thérapeutique à temps partiel), dans lequel je travaille maintenant depuis plusieurs années. Ce centre a la particularité d’accueillir des personnes – adressées par leur médecin psychiatre – qui viennent à des activités, dont l’activité théâtre.
Je travaille en fait dans deux établissements psychiatriques extra-hospitaliers, l’un dépend de Sainte-Anne et l’autre de Perray Vaucluse. Si pour le moment, je passe plus de temps à travailler en psychiatrie, j’ai plutôt envie de basculer vers un travail en centre artistique.
En quoi consistent ces groupes de théâtre ?
Je mène plusieurs activités déclinant différentes facettes du théâtre, à savoir l’expression théâtrale qui s’appuie sur les techniques du jeu de l’acteur, la lecture où il s’agit de lire des textes à haute voix, l’écoute et le visionnage d’enregistrements de pièces de théâtre et des sorties au théâtre.
Quel en est le cadre au niveau des indications, du nombre de participants, d’une co-animation ?
Ce sont les médecins psychiatres référents qui adressent les patients au médecin psychiatre responsable du CATTP. Les patients choisissent l’activité théâtre parmi d’autres activités qui leur sont proposées.
Les activités théâtre sont des groupes ouverts composés de quatre à huit personnes que j’anime parfois en collaboration avec des infirmières. J’accueille aussi des stagiaires psychologues qui apportent un regard extérieur intéressant. Je retransmets ce qui se passe pour les participants durant les séances, lors des réunions d’équipe.
Pourrait-on détailler un peu plus chacune de ces activités et parler de ce qui se joue de particulier dans chacune d’entre elles ?
Dans la séance d’expression théâtrale, on utilise des techniques d’art dramatique, des exercices de détente corporelle, des exercices de respiration, de diction, des improvisations, des jeux de théâtre et un travail de scènes.
Il peut y avoir des représentations de scènes théâtrales au sein de l’établissement, mais les patients ne sont pas souvent d’accord avec cela. Il leur suffit généralement de venir à l’activité théâtrale.
Quelle est pour vous l’importance d’une représentation ?
J’aimerais bien qu’il y ait des représentations, car une activité d’expression artistique suppose qu’elle se donne à voir. Si bien sûr à chaque séance il y a toujours une personne qui regarde l’autre jouer, ce n’est pas le cadre de la représentation qui amène une autre dimension : une valorisation, une reconnaissance et le plaisir de jouer.
Quant à la lecture et l’écoute théâtrale ?
Les pièces sont choisies dans le répertoire classique ou contemporain. Il s’agit de pouvoir être entendu et compris par les autres.
Il y a aussi l’écoute de pièces de théâtre, enregistrées à la Comédie française, avec l’attention portée aux voix, aux rythmes…
Un travail d’expression verbale est-il fait après l’activité ?
Oui, dans chacune des activités, la dernière en particulier : nous faisons des commentaires sur le texte, des questions sont posées et une discussion s’ouvre.
Vous menez aussi un groupe thérapeutique de danse ?
Il y a effectivement aussi une activité de danse, avec des musiques très diverses (valses, rap, disco…) Je propose une petite chorégraphie au début puis les mouvements sont repris par les participants qui, à leur tour, peuvent en proposer d’autres. Ensuite, ils dansent librement sur les musiques de leur choix.
Le travail en psychiatrie est-il différent des animations que vous faites dans les centres artistiques ou dans les écoles ?
Le travail est relatif au lieu dans lequel on intervient. Le dispositif pose un cadre. La base est la même, il y a une palette de techniques que l’on adapte aux personnes et à leurs demandes. Ce travail est très compliqué mais passionnant.
Quelle théorie sous-tend votre travail théâtral ?
La théorie, c’est la technique théâtrale, le dispositif : il y a un espace scénique limité. Le travail consiste en cette espèce d’alchimie entre la théorie et le plaisir de jouer. L’orientation est analytique : pour chaque personne le travail est particulier, même si cela reste un travail de groupe.
Vous faites référence à la psychanalyse. Y a-t-il des points théoriques auxquels vous faites appel ? Des notions qui vous font travailler ?
Mon axe de recherche porte sur les relations entre la construction du jeu de l’acteur et la cure analytique. Il s’agit de prendre point par point la construction d’un personnage dans le jeu théâtral : Personnage en relation avec les autres personnages et le public, pour une histoire théâtrale donnée.
Les notions importantes ici me semblent essentiellement être les questions du sujet et la relation.
Dans le théâtre, il y a un travail sur l’imaginaire, la fiction Winnicott a parlé de l’espace transitionnel. L’espace de jeu, qui est un espace de créativité dans lequel la personne peut s’inventer, si elle n’est pas collée
SI LES PATIENTS
SONT ENVAHIS
PAR LEUR PROPRE
ANGOISSE,
ILS NE VIENNENT
PAS A L’ATELIER
à sa propre image, si elle est justement dans cette aptitude à ne pas se prendre pour l’autre dans le miroir.
Il me semble qu’un processus thérapeutique est possible à travers le jeu théâtral du personnage qui a un nom et une histoire. C’est un travail inconscient et en même temps le participant sait à l’avance que le personnage n’est pas lui : il est dans le jeu théâtral. Il y a un texte emprunté au personnage (soit improvisé, soit tiré d’un texte du répertoire), des relations avec des partenaires de jeu, ceci dans tous les genres de théâtre (comique, tragique, etc.) et dans une histoire théâtrale.
Est-ce que parfois le psychotique n’est pas dans une identification tellement adhésive et massive qu’il ne saurait plus ce qui est du personnage et ce qui est de lui ?
Diderot a écrit sur cette question du paradoxe du comédien qui est cette habileté à jouer un personnage et en même temps être toujours sur le fil entre être ou ne pas être ce personnage. Brecht a parlé de la distanciation : pour qu’un spectateur puisse éprouver ce qu’un comédien veut transmettre. Ce dernier doit se distancier de son rôle.
Les participants sont à même de jouer avec cela. L’expérience montre que si les patients sont envahis par leur propre angoisse, ils ne viennent pas à l’activité. S’ils sont trop pris par leurs émotions, ils renoncent à l’activité pendant quelque temps. Néanmoins, certains patients, en venant, sont angoissés, et trouvent, à la fin de la séance, un certain apaisement.
En général, ils ne délirent pas dans le jeu : leurs gestes répétitifs n’ont plus lieu.
Et votre travail hors psychiatrie ?
J’ai travaillé avec des tous petits dans des ludothèques. J’ai aussi monté des spectacles de théâtre dans les écoles pendant six ans, en collaboration avec les instituteurs ou professeurs, dans des zones d’éducation prioritaire à Paris et en banlieue.
L’objectif était d’essayer de canaliser la violence des enfants qui au lieu de se parler se donnent des coups. Le travail a donc consisté à ce qu’il y ait des répliques qui s ‘échangent plutôt que des passages à l’acte violents. Nous sommes ainsi partis sur des comédies, des adaptations de contes, des situations de la vie quotidienne, etc.…
Depuis quelques années, je propose des activités d’expression théâtrale dans un centre artistique pour adultes. L’objectif est l’affirmation de soi par le plaisir du jeu théâtral.
Propos recueillis auprès de :
Nathalie Redlus
Professeur de Théâtre
Formatrice en Expression orale
Art-thérapeute
par Natacha Aymon-Gerbier